Voici une vue de l'Ilet Fajou l'été dernier, qui représente l'Etang Bois-Sec.
Au moment des faits, l'étang n'était pas sec, mais pendant le carême, il prend cet aspect :
Mais pourquoi donc vous parlé-je de cet îlet Fajou, confetti de quelques dizaines d'hectares dans le Grand Cul-de-Sac Marin de la Guadeloupe ?
Il faut savoir que cette zone est classée à la fois en Réserve Naturelle, et en Réserve de Biosphère par les Nations-Unies, ce qui n'est pas rien. On trouve sur l'îlet une population de rats, qui cohabite avec des populations animales à forte valeur patrimoniale (tortues marines, râles gris). Les gestionnaires d'espaces naturels et les scientifiques s'intéressent beaucoup à ces rats.
Il y a quelques années, ils ont essayé de les éradiquer. Ce fut un cirque assez extraordinaire : pas moins de 20 personnes mobilisées pendants 30 jours, à disposer des pièges à rat partout dans l'îlet (sur la plage passe encore, mais dans les zones de mangrove c'est moins facile), à relever les pièges tous les jours (attraper le rat vivant dans le piège et lui tordre le cou), à les disséquer tous les soirs (ce n'est pas tous les jours qu'on peut disposer d'une population complète, autant faire tout un tas de mesures et de prélèvements qui vont servir à d'autres études)... Et tant qu'on y était, le piégeage a également été réalisé sur les mangoustes, grandes prédatrices devant l'éternel. Bilan de l'affaire : 742 rats ourdis, 182 souris et 76 mangoustes.
Un an après, contrôle des bons et des méchants : les mangoustes ont bien été éradiquées. Les rats, pas tout-à-fait et la population s'est doucement reconstituée. Les râles vont bien merci, leur population s'est bien développée depuis ces événements. Quant aux tortues marines, franc succès : leurs pontes étaient détruites à 100%, et depuis l'opération commando, les bébés tortues naissent à nouveau sans se faire gober tout cru par les mangoustes.
Quel rapport avec ma virée sur l'îlet en juillet dernier ? C'était pour accompagner mes amis ratators et néanmoins AEVistes de longue date, qui poursuivent leurs investigations* . La question est cette fois la suivante : quel est le régime alimentaire des rats, en quantité et en qualité ? (c'est bien beau de les accuser du pire, ils ne mangent finalement peut-être que quelques feuillages et coquillages ?). Mais comment diantre fait-on pour savoir ce que mange un rat sur l'îlet Fajou ?
- on le surveille à la jumelle et on note ce qu'il mange ? Non.
- on l'attrape et on regarde ce qu'il a dans le ventre ? C'est une possibilité mais c'est compliqué car il faut tout observer au microscope et disposer d'éléments de référence.
- on l'attrape, on prélève ce qu'il a dans l'estomac et on réalise des analyses physico-chimiques dont je ne me rappelle plus le nom - ah si, des analyses isotopiques me souffle une relectrice assidue - et qui permettent de connaître les proportions des différents groupes animaux et végétaux consommés. Et pour ça, il faut avoir en même temps prélevé et capturé toutes les espèces animales et végétales potentiellement consommées par le rat sur l'îlet. Ce n'est guère plus simple que l'item du dessus, mais il paraît que c'est ce qui se fait de mieux. Le projet scientifique s'appelle "Aliens", d'autres équipes de par le vaste monde font le même type d'études sur d'autres espèces dites envahissantes.
A suivre de près...
* Lorvelec O., Delloue X., Pascal M. & Mège S., 2004. Impact des Mammifères allochtones sur quelques espèces autochtones de l'îlet Fajou (réserve naturelle du Grand cul-de-sac marin, Guadeloupe), établis à l'issue d'une tentative d'éradication. Revue d'Ecologie (Terre et Vie), 59 : 297-307.
* Lorvelec O. & Pascal M., 2005. French attempts to eradicate non-indigenous mammals and their consequences for native biota. Biological Invasions, 7 (1) : 135-140.