6 octobre 2012 6 06 /10 /octobre /2012 11:55

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Frégate observée depuis la trace des crêtes aux Saintes.

 

 

Les interviews pas du tout imaginaires du Toto-Bois

 

 

Radio bois-patate nous a informés qu'une compétition hors du commun venait de se tenir en Guadeloupe. Trail dans le coeur du Parc National ? Coupe du monde de jet ski ? Merdecury day ?

Vous n'y êtes pas du tout. Ce défi opposait 3 ornithologues de grand renom, basés sur notre belle île, et piliers de l'association AMAZONA. Ils avaient décidé de battre le record du nombre d'espèces d'oiseaux observées dans un intervalle de 24 heures, en l'occurence le 29 septembre. Et ils ont baptisé l'évenement "Big Day".

 

 

Toto-Bois – Alors une question me brûle le bec, pourquoi cette quête ?

 

Frantz – Honnêtement, au départ, je voulais savoir combien d'espèces pouvaient être vues sur une journée. Et puis, au fur et à mesure, le défi a commencé à prendre de l'ampleur (du moins dans nos têtes !) : comment s'organiser, à quelle heure aller sur tel ou tel site, faut-il s'arrêter pour manger, se reposer ? La preuve, je me suis même entrainée deux semaines avant, et j'ai bien fait ! Et puis, Anthony est tellement un mauvais perdant et un teigneux, que c'était contagieux et à un moment, allez, pendant .... 3 secondes, j'ai espéré pouvoir l'écrabouiller, pour voir sa réaction s'il perdait !! Bon, je n'avais pas beaucoup d'espoir pour ça, mais un jour, qui sait... et puis quand à 13h18 il m'a envoyé un SMS pour me dire qu'il était à 76 espèces, j'ai reconnu l'art du Grand Maître, et j'ai su que c'était fini pour moi!!

 

Antoine – Pour le jeu bien sûr !!! Et surtout pour consacrer une journée complète à notre passion qu’est l’observation des oiseaux. Il se trouve que nous réalisons fréquemment des sorties de terrain pour effectuer des comptages, des recensements, des opérations de bagage qui sont davantage des observations à vocation scientifique. Le concept de la Big Day est vraiment une compétition entre amoureux des oiseaux qui demande de la préparation, de l’organisation et de la stratégie, tout comme peut le faire un sportif. Ce concept met vraiment « du piment » à la simple observation d’un oiseau, car dès qu’une espèce est observée, il faut tout de suite passer à une autre, puis une autre, ……afin d’obtenir la liste la plus complète possible.

 

Anthony – Pour le fun de la compétition avant tout et - il faut être honnête - se mesurer aux autres ! Mais pas seulement ! L'objectif était aussi de dynamiser un peu les troupes, créer quelque chose de nouveau en Guadeloupe, c'est quelque chose que font les américains depuis de nombreuses années et si ce n'est pas à la même échelle ça apporte aussi en terme de conservation par une meilleure connaissance des espèces mais aussi avec la collecte de fonds mais ça ça sera pour la prochaine édition... Pour être plus clair les gens disent qu'ils verseront par exemple un certain montant (en général quelques cents par espèces observées, ce qui a la fin fait une certaine somme qui sert à la conservation des espèces). Et enfin je dirais que comme ça n'avait jamais été fait personne ne pouvait répondre à cette question parfois posée par les enfants "combien on peut voir d'oiseaux dans une journée ?", maintenant on le sait...

 

 

 

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Ca c'est moi avec mon épouse légitime.

 

 

Toto-Bois – Quelle a été votre stratégie pour tenter de battre ce record idiot ?

 

Frantz – Je me suis fait un itinéraire en béton... tellement en béton que j'ai perdu....

 

Antoine – Arrivé depuis peu sur le territoire de la Guadeloupe, je partais déjà avec un sérieux handicap face à mes deux adversaires très affutés sur les oiseaux de la Guadeloupe et les sites d’observations. Ils ont tous les deux leurs secrets sur l’emplacement précis d’une espèce, et sont pratiquement capables de vous dire à quelle heure l’oiseau va se poser dans l’arbre, et sur quelle branche…

Bref, la mission de battre le record était pour moi quasi impossible, d’autant plus que la date du Big Day a été avancée d’une semaine, me laissant encore moins de temps de préparation !!! 

J’ai donc ciblé des sites d’observations où j’étais au moins allé une fois, et si possible, peu distants les uns des autres afin de limiter les temps de déplacement en voiture. J’avais au préalable calculé un temps maximum à consacrer par site d’observation afin de rester au plus près de mon « planning d’observation » afin de consacrer le plus de temps possible à l’observation.

 

Anthony – Repérage en amont, tester ses adversaires, à l'occase les diriger vers de fausses pistes, préparer le meilleur parcours possible afin d'optimiser le nombre de possibilités, puis la veille se coucher tôt ! Le jour J se lever tôt (1h55), dans la journée tenter de savoir où en sont les collègues, ne pas dévoiler trop vite ses découvertes puis ne pas baisser la garde même quand on sait que la victoire est proche...

 

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Pétrel Diablotin, imaginé sur les pentes de la Soufrière.

 

 

Toto-Bois – Avez-vous usé de ruse, voire de malveillance, pour voir plus d'espèces que vos concurrents ?

 

Frantz – Hélas, non! Je me suis même fait avoir, n'est-ce-pas Toto, naïvement, en lui disant quelques jours auparavant où j'avais vu tel ou tel oiseau !

 

Antoine – Le Big Day est encadré par des règles strictes qui ne doivent pas être transigées par respect des compétiteurs et de la philosophie de l’épreuve. 

Cependant, le jour J, j’ai utilisé comme tous les participants, la technique de la « repasse » pour certaines espèces. Cette technique (peu sportive je l’admets) consiste à émettre un chant d’une espèce d’oiseau, afin que celle si se manifeste ou réponde à son tour. Elle permet tout en restant assis sur son capot de voiture, de contacter et donc de lister certaines espèces d’oiseaux qui restent planquées au fin fond de la forêt.

Préalablement au Big Day et dans le cadre de ma préparation, j’ai questionné mes adversaires sur l’emplacement précis de certaines espèces locales, afin de pouvoir les revoir avec certitude le jour de la Big Day. Malgré la compétition qui s’approchait, ils m’ont gentiment renseigné et personne ne m’a envoyé chercher au fond d’une grotte un oiseau encore inconnu à ce jour…

 

Anthony – Oui ! Comme promis à Frantz je n'ai pas crevé ses pneus mais par contre une semaine avant j'ai fait croire que je m'étais fait sortir d'un étang privé où il y avait de nombreuses espèces assurées car je savais que tout le monde voulait y aller... Frantz a gobé, pas Antoine...

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Gobé quoi ? Moi j'ai fait une coche très goûteuse de Râle gris à l'îlet Fajou.

 

 

Toto-Bois – Peut-on faire le parallèle entre la chasse aux coches et la chasse aux oiseaux ? (je pense proposer ce sujet pour les épreuves du Bec de philo en section Nature).

 

Franz - Je ne sais pas... l'avantage de la chasse aux coches, c'est qu'après, l'oiseau part entier et vivant ! Je ne sais pas ce que ressentent les chasseurs, mais moi je sais que lorsque je rencontre un Bécasseau maubèche, un Courlis corlieu, ou même les petites parulines qui viennent hiverner chez nous, j'éprouve un immense respect pour ces êtres qui ont parcouru tant de milliers de kilomètres, vu tant de différents paysages que je ne peux même pas imaginer.

 

Antoine – La chasse aux coches est une activité toute aussi particulière que celle du Big Day, car elle consiste à essayer d’aller voir un oiseau que l’on n’a encore jamais vu, à l’échelle d’une vie et non sur 24h. Il faut effectivement être constamment à l’affût de l’éventuel oiseau rare qui pourrait « tomber » comme on dit dans notre jargon, c’est une vraie chasse de l’oiseau inconnu. La liste d’un cocheur peut effectivement être assimilée à celle d’un tableau de chasse d’un chasseur. Cependant, cette activité n’a (quand elle est pratiquée de façon déontologique) aucun impact sur l’oiseau lui-même, qui peut continuer librement sa migration et satisfaire d’autres passionnés d’oiseaux qui l’auront à leur tour découvert sur un autre site d’observation.

 

Anthony – Pas sûr de bien saisir la question... tu veux dire quoi par chasse aux oiseaux, avec fusil et cartouches, la vraie chasse quoi ??? Si c'est le cas je dirai pas tout à fait car quand je vais à la chasse je n'y vais pas spécialement pour flinguer tout ce que je vois et le plus possible, pour moi c'est la chasse photographique ou même le baguage qui se rapproche le plus de la chasse, là j'avais vraiment plus l'impression d'être dans une compétition sportive qu'à la chasse... et puis on vient de faire la Big Day mais il y a aussi la Big Year (même principe mais sur une année entière, là encore on se tire la bourre avec Frantz, mon record 171 sps en 2008...).

 

 

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Un faucon pèlerin asticotant un limicole au large de la Pointe des Châteaux (dessin N. Barré)

 

 

Toto-Bois – La quantité ça peut être bien mais la qualité c'est sympa aussi : quelle fut ta plus belle observation pendant ces 24 heures ? et pendant ta vie d'ornithologue ?

 

Frantz – Pendant ces 24h, J'étais VRAIMENT contente de voir les 6 Phaétons à bec rouge ! Je ne m'attendais pas à en voir un, alors 6 en même temps, c'était une belle observation.

Pendant ma "vie d'ornithologue", en Guadeloupe. Hum, c'est difficile de choisir une observation précise depuis que j'ai commencé l'ornithologie. Chaque coche a un goût particulier, et apporte de la joie, car c'est toujours agréable de voir une nouvelle espèce. Mais il y a des situations que j'aime énormément : c'est lorsque je fais de l'affût photo pendant plusieurs heures. J'essaie d'arriver très tôt sur le site que j'ai choisi, je m'installe avec mon affût, et le moment que je préfère, c'est lorsque les oiseaux commencent à se comporter comme si je n'étais pas là. Voir les aigrettes s'approcher à un ou deux mètres, ou encore un Balbuzard pêcheur se poser à 20 ou 30 mètres pour manger son poisson, et le summum, lorsqu'un Trembleur brun se pose sur mon affût à Lalanne ! Quelle surprise ! Pendant ces instants de solitude et de grand calme, j'observe leur façon d'évoluer autour de moi. Et ça suffit à me remplir de bonheur.

 

Antoine – A l’occasion de cette journée du Big Day, j’ai eu la chance de voir 4 nouvelles espèces de je n’avais encore jamais observées. Malheureusement, contexte de la compétition oblige, je n’ai pas pu pleinement profiter des observations et prendre le temps de photographier ces oiseaux. En ce qui me concerne, ce n’est pas forcément le fait de bien voir un oiseau qui marque, mais plutôt le contexte et surtout l’ambiance dans laquelle je l’ai observé. Mon meilleur souvenir de cette incroyable journée restera ma cession de pschitting en limite d’une mangrove vers Port-Louis, où j’ai pu observer 3 nouvelles espèces d’oiseaux en même temps, attirées par mes sifflements, peu après que je venais de perdre mon pot d’échappement dans une ornière du chemin d’accès à la mangrove. La notion de tristesse pour ma voiture et de joie de voir ces oiseaux été mêlée dans le même buisson.

Il est difficile de ne retenir qu’un fait marquant sur le plan de « ma vie » ornithologique. Cependant, le partage de la découverte de la première observation d’une espèce en France métropolitaine restera pour moi un grand moment. Dans un cadre plus général, le partage d’émotions avec d’autres passionnés face à l’observation d’un oiseau reste des ambiances qui me marquent particulièrement. Se retrouver avec 200 personnes face à une mouette qui est à plusieurs milliers de kilomètres de son aire normale de répartition restent des observations inoubliables.

 

Anthony – Lors de la Big Day la Paruline des prés, un magnifique mâle en arrière mangrove de Port-Louis sud, je ne l'avais pas encore vue cette année.

Sinon j'ai plein de super souvenirs de découvertes d'espèces puisqu'en 15 ans que je sillonne la Guadeloupe, j'ai eu la chance de découvrir plus de 40 espèces nouvelles... Cependant la découverte d'un Râle des genêts (espèce du Vieux Continent) au pied du phare de Petite-Terre restera un moment inoubliable, la méga grosse coche d'une vie, le rêve de tout cocheur ! Mais je suis partagé avec la découverte d'une famille de Dendrocygne des Antilles (toujours à Petite-Terre), coche pour moi de l'espèce en Guadeloupe et premier cas de nidification dans notre département, énorme aussi... et si je devais en donner un 3ème le Goéland de Kumlien (ex ailes blanches) le jour de mon anniversaire au port de Basse-Terre, joli cadeau...

 

 

Merci à nos trois compères, et pour vous prouver le sérieux de leur entreprise, vous pouvez télécharger la fameuse liste des espèces observées, évidemment contrôlée par Maître Corbeau, huissier spécialisé dans le domaine des noms d'oiseaux.

 

 

commentaires

F
Maître Corbeau, l'huissier de Mézun-Peutare, dans le Jura ?
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