Photo Ph. Feldmann
Je dirais même plus, en danger critique d'extinction, au niveau régional pour la Guadeloupe. Selon les critères de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN pour les initiés).
La Guadeloupe est riche.
Riche d'une centaine d'espèces d'Orchidées sauvages, qu'il m'arrive fréquemment d'observer depuis mes arbres favoris. L'une d'entre elles me fait du souci, la terrestre et gracieuse Epidendrum revertianum. C'est d'ailleurs une "fausse" terrestre, car elle n'est pas très ancrée au sol, il est très facile de la transplanter. Facile mais interdit, mademoiselle étant sur la liste des people protégés par arrêté ministériel.
Raymond est inquiet mais pas désespéré.
En 1990, une douzaine de stations de cette espèce étaient recensées avec plusieurs centaines d’individus. Vingt-trois ans plus tard, c'est-à-dire aujourd'hui, la situation n'est pas brillante : seulement deux stations connues, comportant une douzaine individus.
Pas bézef !
Vous me direz que ce n'est pas aussi grave que ça, puisque des plants avaient été sauvegardés in vitro. Que des croisements entre plantes avaient été réalisés, et qu'on dispose donc, au laboratoire et dans certaines pépinières, de plusieurs centaines, voire milliers de desecndants. Un raccourci facile serait de dire qu'il suffirait de les remettre dans la nature et le tour serait joué !
Mais vous le savez aussi bien que moi, la vie n'est pas simple.
Et qu'en pensant aller dans le sens de la protection, on peut aussi bien aller dans celui du mur.
C'est pour cela que tout récemment, nous avons réuni ce qui se fait de mieux en matière de biologie de populations de petite taille. Un séminaire INTERNATIONAL (merci à Raymond, le "canadien portoricain" du groupe) a été organisé en Guadeloupe à l'initiative de l'AGO, et grâce à la décontraction naturelle de la trésorière d'AEVA. Qui a donné le feu vert pour pré-financer l'opération, on se demande comment de tels irresponsables sont recrutés dans ces structures associatives. Nos spécialistes invités : Nathalie Machon du Museum, et Raymond Tremblay de l'Université de Porto Rico.
Le morne Mazeau en 1987, du temps où notre gracieuse terrestre vivait de beaux jours.
Ce furent deux journées fort sympathiques, préalable indispensable pour que la mayonnaise prenne, et pour arriver à bien s'amuser (pardon, travailler) ensemble. Au programme tout d'abord, la visite du laboratoire de culture in vitro du CRB INRA-CIRAD, ou Man Jocelyne fait des merveilles pour conserver et repiquer les Orchidées dans des mélanges de gélose savamment dosés.
Puis un petit tour dans les jardins et ombrières des amoureux d'Epidendrum revertianum, j'ai nommé Nicolas et Claude.
Marie-France nous a à cette occasion désaltérés avec un délicieux jus de gingembre maison.
Troisième temps des visites : le terrain. Les talus pentus de la Mamelle de Petit-Bourg, puis le Morne Mazeau à Deshaies.
Philippe affecté à la circulation sur la Mamelle Petit-Bourg.
Deuxième jour, tout le monde est puni et se retrouve en salle. Messieurs dames, il va falloir potasser un peu avant d'envisager quoi que ce soit :
Nathalie expliquant au parterre d'ignares que nous sommes, la différence entre heterosis et dépression de consanguinité.
- quelle est la réglementation sur les espèces protégées ?
- que faut-il faire pour être autorisé à manipuler des espèces protégées ?
- quels sont les freins au renforcement des petites populations ?
- quelles sont les clés pour la conservation des espèces ?
- que connaissons-nous exactement des populations d'E. revertianum ?
Mais oui, beaucoup de questions. Mais rassurez-vous, également quelques réponses, toutes consignées dans le compte-rendu ce ces journées, maintenant disponible dans tous les bons kiosques.
Nous sommes très fiers, Jeanny Marc, députée maire de Deshayes, a passé toute une matinée avec nous. A été conquise par Raymond (enfin, par son exposé) et Nathalie. Souhaite investir sa commune dans le projet, notamment au travers de la participation d'écoliers à certaines actions.
Sur la question récurrente du nerf de la guerre, le court terme semble en bonne voie, le Parc National ayant classé notre projet prioritaire pour un financement.
Qu'allons donc nous faire dans les mois et les années qui viennent ? Quand je dis nous, je parle au nom de beaucoup d'acteurs, que je cite par ordre alphabétique de peur de fâcher : AEVA, AGO, CBIG, CIRAD, DEAL 971 & 972, INRA, Ionopsis, Museum, ONF, PNG, Université de Porto Rico.
Eh bien voici le programme :
Monter un plan de sauvegarde permettant de reconstiituer des populations viables de l’espèce :
- Réaliser l'état de l'art, regrouper la bibliographie (publications, rapport de stage etc..), partager les documents sur un répertoire en ligne.
- Essayer de sécuriser la conservation de chaque plante sauvage, soit avec les kékis (petits plants se développant sur les hampes florales), soit in vitro.
- Mettre en œuvre une action d'urgence en créant de nouvelles populations avec les plants déjà disponibles. Il faudra donc réaliser des transplantations avec au moins une centaine d'individus. Un diagnostic sanitaire sera à réaliser auparavant.
- Etablir la liste des croisements réalisés, en précisant l’origine des individus utilisés.
- Envoyer des fragments de plants sauvages et cultivés au Museum, pour analyser la structure génétique des populations, et ainsi avoir des éléments pour définir la stratégie de renforcement.
- Faire le lien entre diversité génétique et fitness des populations.
- Identifier des sites pour implanter de nouvelles populations.
Après, on se fait une petite bouffe et on avise !