21 juillet 2015 2 21 /07 /juillet /2015 08:23
A Viard, les mouettes atriciles se délectent des invertébrés qui se développement sur les échouages.

A Viard, les mouettes atriciles se délectent des invertébrés qui se développement sur les échouages.

Ne croyez pas que je veuille vous saper le moral.

 

Il n'est pas certain que le phénomène sargasses garde toute son ampleur dans les années à venir.

 

Mais il n'est pas certain non plus que ça s'arrange !

 

Etant d'un naturel curieux, je me suis invité à une réunion au sommet la semaine dernière. Perché sur le rebord de la fenêtre, j'ai pu suivre les explications de la DEAL (environnement), de l'ARS (santé) et de l'ADEME (financement d'actions). Si ce n'est que la terre s'est mise à trembler pendant que je me concentrais sur le sens du courant équatorial, je pense avoir à peu près compris. Je vous livre ce qu'a saisi ma cervelle d'oiseau.

Un peu d'histoire tout d'abord.

 

2011 - Premiers échouages massifs de sargasses en Guadeloupe. Le phénomère dure de juillet à octobre.

2012 - Même scénario, d'avril à octobre.

2013 - Rien !

2014 - A nouveau des échouages, cette fois de juillet à décembre.

2015 - Les choses se gâtent, année maudite mes frères. Ca a repris fin février, avec une ampleur jamais vue de mémoire de Pélican.

Moi je veille au grain, et j'avertis les services de la commune si elles arrivent.

Moi je veille au grain, et j'avertis les services de la commune si elles arrivent.

A retenir pour l'interro écrite : avant 2011, les sargasses étaient si peu nombreuses dans nos eaux qu'elles ne s'échouaient pas. Quelques petites touffes pouvaient traîner en mer, mais pas de quoi casser trois pattes à un Diablotin.

On embraye avec un peu de géographie et de climatologie (c'est bien la peine d'être en vacances).

 

Les sargasses naissent dans le Golfe du Mexique, puis - en passant par le sud de la Floride - rejoignent le vortex du Triangle des Bermudes (où elles côtoient les monceaux de bois et plastiques qui s'y accumulent également, mais ceci est une autre histoire).

 

Ce Triangle des Bermudes, c'est ce que le commun des mortels (vous) appelle la Mer des Sargasses. Dans le temps (avant 2011), des petites quantités de sargasses voguaient vers le sud et fréquentaient de façon très discrète les eaux des petites Antilles.

 

C'était nickel en ce temps-là.

C'était nickel en ce temps-là.

Mais voilà qu'en 2010, il se passe quelque chose de bizarre. Deux choses bizarres même.

 

Le pot-au-noir (à ne pas confondre avec le pot-aux-roses) s'est beaucoup renforcé. Le pot-au-noir (aussi appelé zone de convergence inter-tropicale ou ZIC) est une ceinture d'air à basses pressions, qui entoure la Terre près de l'équateur. Cette zone est appelée pot-au-noir par les marins, car elle est synonyme de situation peu claire et dangereuse.

 

Cette ZIC fait habituellement quelques centaines de kilomètres de large, et sa position évolue légèrement selon la période de l'année. 

 

Et alors, quel rapport avec les sargasses ? J'y viens, un peu de patience.

 

La Guyane est également concernée par le phénomène. Mais là, c'était avant.

La Guyane est également concernée par le phénomène. Mais là, c'était avant.

Au voisinage du pot-au-noir,  les vents sont faibles dans les basses couches de l'atmosphère. Ca crée comme qui dirait des calmes équatoriaux. Pétole.

 

En 2010 donc, ce pot-au-noir devient beaucoup plus large que d'habitude. Onlo ptéol ! De quoi bloquer le transit des sargasses.

 

On dirait que c'est ce qui s'est passé en 2010 : les algues se sont accumulées dans cette zone de calme, au nord-est du Brésil. Dans le même temps, il s'est passé un deuxième truc bizarre.

 

En temps normal, il existe un courant équatorial qui va vers l'ouest, et qui repousse donc les sargasses qui seraient dans le secteur. Ce courant est contrebalancé par un léger contre-courant qui va dans l'autre sens, vers l'est. Eh bien vous me croirez ou pas, en 2010 ce courant a été un peu plus fort que d'habiture, ce qui a encore plus empêché les sargasses de repartir vers l'ouest.

Résumé des faits pour 2010 : un gros paquet de sargasses stagne au nord-est du Brésil.

 

Toujours pas de rapport avec la Guadeloupe. La vie n'est pas simple, je vous l'ai déjà dit.

Ibis sacrés regardant passer les nutriments dans l'Amazone, sur l'île de Marajo.

Ibis sacrés regardant passer les nutriments dans l'Amazone, sur l'île de Marajo.

Il se trouve que dans cette zone du Brésil, le gros fleuve Amazone déverse ses eaux, chargées en nutriments. Et que cette interaction entre les nutriments et les sargasses a causé leur énorme prolifération. Nitrates et phosphates fournis par le fleuve ! Cerise sur le gâteau, 2015 est également une année anormale pour ce qui est des brumes de sables. Ce phénomène est intense depuis deux à trois mois et sans répit. Et ces brumes déposent des quantités importantes de nitrates, phospahtes et fer, tout ce qu'aiment les sargasses.

 

La suite on la connaît. Le courant Caraïbe fait voyager ces algues, qui viennent maintenant apporter une touche de déco à certaines parties du littoral.

Enfin de nouvelles teintes dans la palette du peintre. Ocre, rouge et brun. Ici, à Marie-Galante.

Enfin de nouvelles teintes dans la palette du peintre. Ocre, rouge et brun. Ici, à Marie-Galante.

Les questions que je me pose sont les suivantes :

 

Est-ce que les apports de nutriments de l'Amazone ont été plus forts en 2010 que par le passé ? Certains en effet mettent en cause la déforestation, qui aurait pour conséquence un apport accru de nitrates et de phosphates dans le fleuve. Mais je me dis que malheureusement, la déforestation ne date pas d'hier, ni d'avant-hier. Y aurait-il eu un effet de seuil ? Ou alors, le taux de nutriments normal de l'Amazone aurait-il de toutes façons suffi à booster les algues ?

 

Est-ce que cette énorme masse d'algues au large du Brésil a tendance à se réduire ? Puisque le renforcement du pot-au-noir et du contre-courant - causes premières de l'accumulation - ne se sont pas renouvelés, peut-être y a-t-il une chance que l'intensité du phénomène diminue globalement ? Et qu'à moyen terme, les impacts sur notre petite île soient moins importants ?

 

Comment se fait-il que l'espèce de sargasse dominante aux Antilles ne soit pas la même que celle du Triangle des Bermudes ? Deux espèces co-existent aux Bermudes : Sargassum natans (90%) et S. fluitans (10%). Aux Antilles, seule S. fluitans a été observée jusqu'à maintenant.

 

Pourquoi ne s'est-il rien passé en 2013 ? 

 

 

 

Un oeil exercé repèrera un petit banc de S. fluitans juste derrière l'îlet.

Un oeil exercé repèrera un petit banc de S. fluitans juste derrière l'îlet.

En conclusion, plus on en sait, et plus des questions se posent. C'est tout le temps comme ça depuis Galilée, il n'y a pas de raison que ça cesse.

C'est bien parce que c'est vous, je me suis fendue de deux petits dessins pour résumer l'histoire.

Sargasse d'un jour, sargasse toujours ?
Sargasse d'un jour, sargasse toujours ?

La suite de la réunion a été consacrée à l'impact potentiel de l'accumulation de ces algues sur la santé humaine et la santé animale tout court, et sur la façon de traiter le problème localement. Le sujet est vaste. Si vous me le demandez gentiment, un article fera suite à celui-là, lorsque des projets de collecte et de valorisation de cette biomasse auront vu le jour.

 

Il n'est pas interdit d'être optimiste !

commentaires

J
Je confirme le PETIT schéma nous avons bien maintenant de groupe invasion de sargasses en Guyane
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L
Bravo, continuez à nous informer!! Joli sujet de film...
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A
Bonjour, étant élève de Première Es du Jardin D'essai,nous avons une épreuve du BAC cette année ; les TPE. Nous aimerions avoir votre aide ou quelques informations sur le sujet. Nous travaillons principalement sur leurs enjeux économiques et environnementales.<br /> Voila, je vous laisse mon adresse e-mail. Si vous voulez bien nous aider nous ferrons les démarches pour se rencontrer. Llona, Mathis, Audrey. llolloclaustre@gmail.com
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O
Salut et Bravo pour votre article à la fois poétique et pédagogique ! Et qu'elles illustrations !<br /> Tout cela est tout de même fort inquiétant pour nous autres professionnels du nautisme...<br /> Un moniteur skipper Guadeloupéen inquiet...
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T
Bonjour Olivier. Oui, tout le monde s'inquiète. Je ne sais pas pourquoi, j'ai l'intuition que le phénomène va décroître dans les années qui viennent. Mais peut-on se fier aux intuitions d'un oiseau des bois ?
T
C'est pas exactement ce qui nous préoccupe. Connaître les mécanismes ne vont pas nous empêcher de respirer le H2S qui nous ruine la santé . On est dans l'urgence d'une action , on fera les études ensuite !
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T
Mieux vaut agir en connaissance de cause Tazar. L'appel à projet de l'ADEME vise à tester des solutions pour récolter, et pour faire quelque chose de ce qu'on récolte. Je suis bien d'accord que c'est très difficile à vivre !

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