Cascade en Dominique - Aquarelle C. Pavis
Un coup de pub pour la canyoning ?
Non, nous commençons ici la série tant attendue des 'Dossiers qui fâchent', autrement dit ceux qui reviennent par la fenêtre quand on les a fait sortir par la porte.
Quand j'étais un jeune Pic inexpérimenté (et peu au fait de la réglementation), il m'arrivait de partir un sac empli de cordes au dos, de rejoindre une crête, puis un départ de ravine, qui se transformait peu à peu en rivière. Avec de la chance, nous arrivions à quelque cascade à franchir en rappel, ou toboggan à dévaler. Du canyoning sauvage en quelque sorte. Cette activité n'était pas autorisée dans la zone centrale du Parc National. Peu à peu, quelques opérateurs associatifs ou commerciaux y ont malgré tout développé cette pratique, et la tirette d'alarme a commencée à être sonnée.
Que faire ? Telle était la question posée dans les instances du Parc.
Interdire ? Réglementer ? Et d'abord que disait le décret de création du Parc ? Est-il interdit d'interdire ce qui n'est pas autorisé ? Laisser faire puisque-de-toute-façon-on-ne-pourra-pas-l'empêcher ?
Comme souvent dans ces cas d'indécision, des études furent lancées pour estimer les impacts éventuels de la pratique du canyoning sur les espèces et les milieux.
Des débats furent organisés avec les opérateurs de canyoning pour recueillir leur point de vue.
Le Comité scientifique du Parc fut sollicité à maintes reprises sur la question.
Le Conseil d'administration également, sur la base des conclusions du précédent.
AEVA donna son avis sans qu'on le lui ait demandé.
Nous pouvons résumer cet avis de la façon suivante. Les milieux concernés par le canyoning en zone centrale sont d'une richesse exceptionnelle, tant par les espèces présentes que par les milieux concernés (ce n'est pas moi qui le dis, nous sommes quand même reconnus comme le 4ème hot spot de biodiversité mondiale). Il n'existe pas de milieux équivalents en Europe ni même à la Réunion, où les lits des rivières dédiées au canyoning sont beaucoup plus minéraux qu'en Guadeloupe. Les études montrent sans ambiguïté un impact négatif important de la pratique du canyoning sur les espèces et les milieux. Notre propre expertise de ces écosystèmes le confirme. Les impacts concernent les traces d'approche (destruction d'espèces végétales protégées, érosion, surcreusement, puis abandon de ces traces devenues impraticables, et ouverture de nouvelles traces), les abords de rivière (les berges et ripisylves sont des milieux à haute diversité biologique) et le lit des rivières (perturbation de la faune benthique, piétinement des fonds, raclage des toboggans)... Il est tentant de dire que les crues ou cyclones ont des effets bien plus dévastateurs, mais ce n'est pas exact, les écosystèmes étant par nature adaptés à ces aléas climatiques.
On ne peut pas dire que la peine des uns et des autres fût ménagée, ni qu'un consensus fût trouvé. Mais quand les enjeux de conservation sont forts, le consensus est-il souhaitable ?
Résultat des courses, un arrêté du Directeur fut pris en 2004, interdisant cette pratique dans la zone centrale.
Les rivières coulaient donc des jours heureux, quand tout d'un coup, patatras. Vous savez certainement (mais si) que tous les Parcs nationaux français font leur toilette cette année : et hop, nouveau décret pour tout le monde, je ne veux voir qu'une tête. Grosso modo, la philosophie est de dire : ce qui était protégé le reste et celà apparaît dans le décret, et un certain nombre de réglementations sont précisées dans la charte, co-construite avec les collectivités, les usagers etc... Cette charte est révisée périodiquement, alors que le décret est un peu plus gravé dans le marbre.
Ceux qui suivent voient où je veux en venir : où faut-il donc inscrire l'interdiction du canyoning pour qu'elle ait un maximum de pérennité ?
La suite au prochain épisode, et quelques saines lectures pour creuser un peu les questions scientifiques, sociétales et réglementaires :
La question du canyoning dans le Parc national de la Guadeloupe. J. Leconte, J. Jérémie, C. Sastre, P. Feldmann, J. Fournet, D. Imbert, A. Rousteau, J.-F. Bernard, D. Monti, P. Vilard, 2004. Note de synthèse, 5 pp.
Réflexions sur les enjeux d'un territoire protégé ouvert au public : Parc National de la Guadeloupe et pratique du canyoning. Pavis C., 2004. Note préparatoire au groupe de travail de janvier 2004, 2 pp.
Position sur la pratique du canyoning en zone centrale du Parc national de la Guadeloupe. AEVA, 2003, 2 pp.
Motion relative à la protection des Orchidées en Guadeloupe. CNPN, 2003, 1 p.