7 décembre 2009 1 07 /12 /décembre /2009 09:42

Il y a une quinzaine de jours, je suis sorti du (toto) bois, et suis allé me percher sur l'embrasure de la fenêtre d'un hôtel chic de Saint-Claude. J'ai pu ainsi assister à un certain nombre de débats, portant sur les espèces exotiques envahissantes (autrement dites "EEE"), et également profiter des pauses café, très bien fournies en viennoiseries de toutes sortes.

Mais que sont donc ces EEE ? Autant savoir de quoi on parle avant de discuter, les sources de malentendus étant par ailleurs suffisamment nombreuses sur cette Terre. Le groupe Outre-Mer de l'UICN-France (l'UICN étant l'Organisation mondiale pour la nature), et plus particulièrement les camarades de l'initiative UICN sur les EEE, nous en donnent cette définition (sortez vos calepins et prenez des notes) :

Il s'agit d'espèces animales, végétales, ou microbiennes, introduites accidentellement ou délibérément par l'espèce que l'on dit humaine, et qui se sont acclimatées, naturalisées, ont pris un caractère envahissant, et ont un impact plus ou moins grave sur les milieux et/ou espèces indigènes, sur l'économie ou sur la santé.

Diantre ! Ce qui revient à dire qu'aussi bien une plante faisant par exemple régresser l'effectif de la population d'espèces végétales indigènes, qu'un animal provoquant des pertes économiques dans le domaine agricole, qu'un microbe risquant de nous contaminer, peuvent être considérés comme des EEE ? En tous cas ce qui est sûr, c'est qu'en tant que seule espèce d'oiseau endémique de la Guadeloupe, je suis le contre-exemple parfait d'une EEE.

Mais ce qui revient aussi à relativiser. Selon Williamson & Fitter (1996), en moyenne 1 espèce introduite sur 1 000 devient envahissante.

Mais attention, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : ces quelques espèces qui deviennent envahissantes peuvent à coup sûr provoquer des dégâts considérables dans nos milieux insulaires qui ont un défaut majeur : celui d'héberger des écosystèmes dysharmoniques. Ce mot barbare signifie que des groupes taxonomiques ou fonctionnels en sont absents. La biodiversité y est souvent faible mais le taux d'endémisme élevé. On a tendance à dire que toutes ces caractéristiques rendent les écosystèmes insulaires fragiles, notamment face aux espèces nouvellement arrivées.

Tout ça est un peu compliqué je vous l'accorde, je vais essayer de vous donner quelques exemples qui nous concernent de près.



Cliché INRA Guadeloupe.

On commence par quelque chose de facile à comprendre. La fourmi-manioc (encore elle, elle va prendre la grosse tête). Elle a tous les critères sans risque de se tromper : elle a été introduite, elle s'est installée, son aire de répartition a progressé, elle cause des impacts économiques et écologiques considérables (lourdes pertes en agriculture, attaque sur des milieux naturels et sur des espèces protégées (au hasard, fougères arborescentes)). Pour quelques révisions sur cet Hyménoptère, voir . C'est donc le cas typique de l'EEE qu'il conviendrait de fortement limiter, d'autant plus qu'elle épargne les îles avoisinantes. Egoïstement, pensons à Marie-Galante, et à la Martinique. Mais les petits copains des Antilles aimeraient bien aussi s'en dispenser.



Croquis C. Pavis.

Deuxième exemple, choisi cette fois-ci chez les végétaux. Le bambou. Quoi, le bambou ?! Cette magnifique Poacée (anciennement Graminée) serait envahissante ? !!  Alors qu'elle agrémente si bien nos bords de rivière et nos paysages ruraux ?! Dites-donc, vous ne seriez pas par hasard ce qu'on peut appeler des intégristes écologiques frustrés qui voudraient confisquer la nature au commun des mortels ? Je ne m'exprimerai pas sur ce point, mais une chose est sure : le bambou se trouve au coeur du Parc National, et si sa présence est souvent inféodée à l'activité humaine, cette espèce peut quand même coloniser des milieux sans qu'on le lui demande, par exemple en se bouturant et en se propageant grâce aux pentes, éboulis et autres vallées. Son impact est flagrant, et localement très inquiétant (route de la Traversée, routes des chutes du Carbet, crêtes du Nord au-dessus de Sainte-Rose...). Les dégâts en Martinique sont irréversibles; en Guadeloupe, il faudrait travailler très vite et très bien pour éviter cette extrémité. Les gestionnaires du Parc National ont d'ores et déjà commencé à évaluer différentes méthodes de lutte. C'est là que ça se complique un peu : lorsque l'EEE dispose d'un capital de sympathie auprès des populations humaines, il faut commencer à faire attention à ce qu'on dit si on veut être compris et suivi.


Cliché P. Feldmann.

Dernier exemple après je retourne dans mon trou : celui du raton-laveur (racoon, rina, rakoun...) qui a déjà fait couler pas mal d'encre (voir ) et presque de sang chez AEVA. Alors là, si je peux me permettre, je rigole. Jusqu'à il n' y a pas longtemps, le racoon avait la cote, espèce indigène, protégée par arrêté ministériel, chouchoutée par tout un chacun bien qu'ayant fait jusqu'à 1989 partie des tableaux de chasse de nos concitoyens. Curieusement, malgré cet engouement, bien peu de choses étaient connues sur le racoon en Guadeloupe. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, jusqu'au jour où des scientifiques ont démontré par A + B que les racoons de Guadeloupe sont de la même espèce que les copains américains, et qu'ils ont été introduits entre 1820 (selon les naturalistes) et 1840 (selon la police). Donc si vos sortez vos calculettes, ça fait largement moins de deux siècles qu'ils sont là, ce qui est bien peu de choses en matière de processus écologique. Et que bien malin qui peut dire aujourd'hui si cette espèce n'a pas déjà eu ou n'aura pas un impact négatif sur les forêts proches de l'état primaire du massif de la Basse-Terre. On est là typiquement dans un cas compliqué réglementairement (il faudrait déclasser l'espèce, peut-être la lister comme espèce chassable, ce qui prend en général plus de temps qu'il ne faut pour le dire), médiatiquement (il faudrait expliquer aux gens que finalement ce n'est pas le bon gros nounours qu'on croyait), scientifiquement (il faudrait essayer d'en savoir un peu plus sur la bête, pour concevoir des méthodes de gestion appropriées) etc...

Je n'ai donc rien démontré dans ce cours magistral qui a dû en barber plus d'un, sauf qu'il est urgent de se mettre tous autour d'une table pour accorder nos idées, nos violons, nos compétences (si si, il y en a) dans le domaine des EEE.  Comme l'ont dit cette semaine les 'savants', les associatifs, les services de l'état, les voisins de la Caraïbe, les Ultra-Marins français (parfois dissipés...), les lacunes aux Antilles françaises et ailleurs dans ce domaine sont surtout liées à un manque de coordination. C'est vrai qu'on pourrait sortir un peu de notre train-train pour se mettre en ordre de marche au niveau local. Ensuite, il sera temps de coopérer avec la Caraïbe.

Pour trouver des informations sérieuses sur ce sujet, allez vite sur le site de l'initiative UICN EEE. Vous y trouverez aussi des références bibliographiques, une base de données très pratique et bien d'autres choses encore.

commentaires

Présentation

  • : L'écho du Toto-Bois
  • : Le blog d'AEVA, l'Association pour l'Etude et la protection de la Vie sauvage dans les petites Antilles - Contact : aeva.totobois@gmail.com
  • Contact

Rechercher Dans Le Blog

En Magasin