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Ces 6 derniers mois, je (le Toto-Bois, alias Pic de la Guadeloupe), me suis mis en embuscade dans le lit de 41 rivières de la Basse-Terre. J'ai pu voir rôder un drôle d'individu, chaussé de lunettes, de jumelles, d'un appareil photo, d'un GPS, d'un calepin et d'un crayon. Malgré sa discrétion, son petit manège ne m'a pas échappé. Mon diagnostic est le suivant : harcèlement sur la personne de mon cousin Megaceryle torquatus, alias le Cra cra.
En bon citoyen, j'ai été déposer une aile courante au commissariat du coin. Quel ne fut pas mon étonnement d'apprendre que le rôdeur en question n'était pas un délinquant, mais un ornithologue, chargé d'apporter des réponses à des questions farfelues du genre : combien reste-t-il de Cra cras en Guadeloupe ? Sur quelles rivières le rencontre-t-on ? Quel peut bien être son régime alimentaire (j'ai quand même une petite idée là-dessus) ? Qu'est-ce qui pourrait expliquer qu'il soit devenu si rare, alors qu'il est assez fréquent en Dominique ?
Le planton de service m'a même donné un tuyau : le rôdeur en question s'appelle Pascal Villard. Il dévoilera le fruit de ses découvertes, en avant-première, le lundi 28 septembre à 18 heures à l'INRA de Prise d'eau.
* Photo Wikipedia
Les interviews pas du tout imaginaires du Toto-Bois.
Ce mois-ci, j'ai rencontré Alain Rousteau.
Qui c'est celui-là ? Au départ, c'est un copain. Et puis c'est aussi quelqu'un qui travaille à l'Université Antilles-Guyane, en écologie forestière. Il fait partie de notre association, et n'est pas le dernier à mouiller sa chemise lorsque nous nous mobilisons sur tel ou tel dossier sensible. Mais venons-en aux faits. Alain a travaillé sur une problématique (comme on dit dans les milieux autorisés) intéressante : la non-régénération des gaïacs aux îlets de la Petite-Terre. Maguy Dulormne, Lydie Largitte, Astrid Monthieux, René Dumont, Christophe Ndong-Mba et Alain Saint-Auret ont participé aux opérations élaborées pour élucider l'égnime.
Quelques mots d'explication.
Le gaïac est une espèce d'arbre qui fût utilisée aux temps jadis et jusqu'au siècle dernier, pour la fabrication de poulies (il paraîtrait même que Rackham le Rouge et le Capitaine Crochet ne juraient que par les poulies en bois de gaïac). C'est un bois très dense, à texture fine, presque huileuse, idéal donc pour fabriquer des pièces mécaniques auto-lubrifiantes soumises à de fortes contraintes : dans les moulins, sur les bateaux... On en extrayait aussi une huile essentielle d'intérêt médical, le gaïacol. On faisait également brûler la sciure pour soigner les maladies vénériennes. Une fois cuits, les patients se plaignaient beaucoup moins. Mais comme savent les médecins, soigner n'est pas guérir... Bref, le gaïac était tellement prisé qu'on l'appelait 'l'arbre de vie" (lignum vitae).
Il y a tout naturellement eu surexploitation de cette essence (on ne se refait pas). Sa répartition est maintenant relativement limitée. En Guadeloupe, il en existe dans certains jardins de la Basse-Terre, ET à Petite-Terre. Ceux de Petite-Terre sont vieux, le plus jeune d'entre eux a environ 50 ans. Comme je vous le dis. Pas de plantules, pas de jeunes arbres, rien. Bizarre tout de même.
Je précise à l'attention des internautes qui ne connaîtraient pas Petite-Terre (les pauvres), qu'il s'agit de deux îlots d'environ 150 hectares, situés à une dizaine de kilomètres à l'est de la Guadeloupe. Climat tropical à saison sèche marquée, végétation typique des zones sèches sur sable et calcaire, Petite-Terre est inhabitée et bénéficie du statut de réserve naturelle depuis 1989. Un bijou donc, qui de plus héberge la plus forte population mondiale d'iguanes des Petites Antilles.
A ce stade, je sors mon micro, je branche mon vieux magnéto à bande, et silence, on tourne.
Toto-Bois - Bonjour Alain, nous allons abuser de ton temps précieux, pour que tu nous racontes tout ce que nous avons toujours voulu savoir sur les problèmes du gaïac à Petite-Terre. Tout d'abord, quel est le nom latin du gaïac, et à quelle famille botanique appartient-il ?
Alain - Eh bien il s'agit de Gaiacum officinalis, de la famille des Zygophyllaceae. Zygo signifie "joug, union, paire, jonction", et phylle signifie feuille. Son feuillage présente en effet des feuilles et folioles symétriques de part et d'autre de la tige et des nervures.
TB - Peux-tu nous dire où on le rencontre en dehors de Petite-Terre ?
Alain - On ne le trouve quasiment plus à l'état sauvage, sauf peut-être à la Désirade. A Saint-Barthélémy, il y en a beaucoup dans les jardins. Dans le temps, les Saint-Barths arrimaient leurs cases quand un cyclone arrivait, avec des cordes accrochées aux racines de gaïac. Ils construisaient leurs cases à côté des gaïacs, ou plantaient des gaïacs aux 4 coins de leurs cases.
TB - A Petite-Terre, sait-on combien d'individus de gaïac il y a, et quel est leur âge moyen ?
Alain - Nous en avons répertorié une trentaine. Mais il y en a peut-être davantage car nous n'allons presque jamais dans certains endroits assez difficiles d'accès, comme par exemple à l'est de la grande saline. Ils ont tous plus de 50 ans, et beaucoup sont sans doute plus que centenaires. Mais c'est difficile d'évaluer leur âge, ils poussent très lentement dans ces conditions difficiles, avec des ressources limitées en eau, en matières organiques et en minéraux.
TB - J'ai entendu dire que si on prélève des graines de gaïac à Petite-Terre et qu'on les sème ailleurs, elles sont capables de germer et pousser normalement. C'est vrai ?
Alain - Ouh la la attention, il est absolument interdit de prélever ou de semer des graines de gaïac en dehors des procédures scientifiques dûment agréées. Mais c'est vrai qu'elles germent, nous en avons fait l'expérience.
TB - Mais alors, qu'est ce qui peut bien expliquer ce phénomène ? Et quelles expériences avez-vous menées pour y comprendre quelque chose ?
Alain - Pour savoir s'il s'agissait d'un problème de sol, nous avons semé des graines après les avoir lavées, sur le sol à Petite-Terre, et nous avons protégé les semis avec des grillages. Elles ont germé normalement et un certain nombre a survécu pendant un an. Puis toutes les plantules sont mortes. Nous avons fait la même expérience à l'université, en semant les graines dans des pots de terre de Petite-Terre, et en les arrosant. Là encore, très bonne germination au bout de trois semaines ; par contre, certaines graines n'ont germé que 18 mois après le semis.
TB - Incroyable ! Donc ce n'est pas un problème de sol. Alors le climat ?
Alain - C'est possible. La sécheresse doit limiter beaucoup le taux de germination, et provoquer une forte mortalité chez les plantules. Pour expliquer la présence de gaïacs centenaires, il y a plusieurs hypothèses. Soit le climat était plus humide à l'époque. Ou alors, il y avait une ou deux fois par siècle une année favorable, avec des pluies au bon moment. Dernière hypothèse, ils ont été cultivés, donc plantés et soignés, du temps où l'île était habitée. Mais on n'a aucune preuve à ce sujet.
TB - Il n'y aurait pas aussi des animaux qui s'attaqueraient aux plantules ?
Alain - Tu as l'air bien renseigné... En effet, nous avons observé un petit charançon dans les fleurs de gaïac, et très souvent un petit ver, peut-être la larve de ce coléoptère dans les graines. Comme par hasard, ce ver grignote la tigelle de l'embryon de la graine. Il ne s'intéresse même pas aux cotylédons, de sorte qu'à la première morsure, c'est fichu pour la germination.
TB - Et toutes les graines sont attaquées par le ver ?
Alain - Pas tout à fait. Le gaïac commence à faire ses fruits en août. A ce moment-là, on trouve des graines sans vers. Puis dès qu'on avance dans la saison, à partir d'octobre, toutes les graines sont colonisées par des vers, et plus rien ne germe. Il y a donc un petit décalage entre le cycle de l'insecte et celui de l'arbre, avec une période d'environ un mois ou deux pendant lesquels les graines peuvent éviter l'attaque fatale.
TB - Ca fait donc une fenêtre de tir réduite pour que le gaïac réussisse à se régénérer, entre la sécheresse et l'attaque des vers !
Alain - Oui, d'autant plus que d'autres animaux peuvent aussi tuer non pas les graines mais les plantules : les bernard-l'hermite, très nombreux là-bas, et qui sont tout-à-fait capables de cisailler des plantules, ou de les déraciner par inadvertance. Et aussi les iguanes, qui sont bien connus pour brouter des feuilles de gaïac ; on peut imaginer qu'ils effeuillent ou même arrachent des plantules involontairement. Pour ces deux animaux, ce ne sont que des présomptions, nous n'avons pas fait d'observations ni d'expériences spécifiques.
TB - Bigre, l'affaire est grave tout de même. Si je résume, pour arriver à se régénérer, un gaïac lambda doit produire une graine mature en août ou septembre pour éviter les vers, cette graine doit ensuite être arrosée par une bonne pluie pour qu'elle germe, puis, on doit avoir si possible une ou plusieurs années de suite assez pluvieuses pour que la plantule survive, et enfin, les copains brouteurs doivent ne pas se trouver sur son chemin. Ca fait beaucoup pour un seul arbre !
Alain - Eh oui, c'est pour ça que ça n'arrive jamais. Je ne devrais pas dire jamais, car une fois, Lydie Largitte, gardienne à la réserve de Petite-Terre, a trouvé un bébé gaïac à Petit-Terre. Il avait probablement plus d'un an et a fini par disparaître. Mais il faut quand même dire que le gaïac n'est pas tout seul dans ce cas : à part le Laguncularia, un arbuste de mangrove, ou le Rhizophora sur les rives des lagunes, AUCUN arbre ne se régénère naturellement à Petite-Terre. Ni les mancenilliers, ni les poiriers-pays, ni les bois couleuvre...
TB - Eh bien, moi qui pensais finir sur une note optimiste, c'est raté. Comment va évoluer la végétation si aucun arbre ne se régénère ? !!
Mais nous reprendrons cette discussion une autre fois, car je dois rendre l'antenne à ma fourmi la voisine. Merci Alain Rousteau pour cet entretien et à vous les studios.
Quelques saines lectures le soir au coin du barbecue :
- Dulormne M., Largitte L., Monthieux A., Ndong-Ba C., Rousteau A. & Saint-Auret A. 2006. Le déficit de régénération des Gaïacs de la Petite Terre. Rapport Bios Environnement, 27 pp.
- Rousteau A. 2004. Régénération forestière dans les espaces forestiers littoraux : variété des processus naturels ou anomalies menaçant la pérénité des écosystèmes ? Revue d'Ecologie (La Terre et la Vie) 59 : 163-170.
Le dernier numéro du Courrier de l'Environnement vient de sortir, j'y ai déniché (!) un article sur la gestion des espaces protégés, écrit par Annik Schnitzler, Jean-Claude Génot et Maurice Wintz. Je me suis senti un peu moins tête de piaf après l'avoir lu. A télécharger là.
Pour vous donner envie de le lire, je vous livre la première phrase, une citation de Wendell Berry :
"Nous ne savons pas ce que nous faisons dans la nature tant que nous ne savons pas ce que la nature aurait fait si nous n'avions rien fait".
... pour dernier terrain vague en Grande-Terre ?
Sans rire, l'air était frais à la Grande Vigie lors de notre sortie de mars, pour cause de vent du nord.
L'observateur avisé que vous êtes aura remarqué une tache sombre entre le petit buisson qui dépasse et la pointe rocheuse. Alors c'est noir et ça souffle. Oui, une baleine, et même au moins deux. Probablement des baleines à bosse, autrement dites 'mégaptères', mais pas de certitude. Certains d'entre nous ont pris des photos, que nous allons soumettre au FBI (Front Baleinier d'Investigation) pour expertise.
A signaler également au rayon 'vertébrés en tous genres', deux faucons pèlerins, l'un à la Vigie, et l'une au Bois de Cadou.
Cliché Laurent Malglaive
Mais que faisions-nous sur cette pointe ?
Ex future implantation du projet Vigie Gate (croisons les doigts).
En noir et blanc, c'est pas mal non plus.
Ce que j'ai retenu, n'étant pas forcément le meilleur élève.
- Ne touche pas aux feuilles allongées du Merisier royal (Malpighia linearis), sinon il t'en cuira (épines microscopiques).
- Si malgré tout tu y touches, cueilles vite une feuille de Koupay (Croton flavens), dont le lait te cicatrisera.
- Si tes enfants ont des puces ou des poux, ramasse des feuilles de Kanel a pis (Canella winterana), sous leur drap tu les placeras.
- Si tu croises la Sitwonèl (Triphasa trifolia), alors méfie-toi. Cet arbuste de la même famille que les agrumes se comporte de façon envahissante en lisière du bois de Cadou. Pour le moment limitée sur les quelques premiers mètres, comment cette population va-t-elle évoluer ? L'invasion va-t-elle se poursuivre et modifier la formation forestière ? Ne trouvez-vous pas qu'on pose beaucoup trop de questions dans ce blog sans beaucoup apporter de réponses ?
Voilà l'envahisseur en question (non, pas la vache au second plan).
Eh bien la tablette de chocolat est gagnée. Pseudocentrum guadalupense est une Orchidée endémique de la Guadeloupe, qui brille par sa discrétion. Elle n'a été observée que deux fois en 92 ans.
Première observation le 18 novembre 1895 avec le specimen récolté par le Révérend Père Duss, specimen qui a permis sa description en 1909 par Cogniaux. Une visite (virtuelle) au New York Botanical garden nous permet de découvrir à quoi elle ressemble. Just click there. Un peu caramélisée non ?
En 2001, Joël Jérémie, du Museum d'Histoire Naturelle de Paris, consulte ses herbiers pour préparer l'atlas des Orchidées de Guadeloupele. Et il tombe (tout en bas de la pile des planches non identifiées) sur un échantillon collecté et photographié par lui-même le 16 novembre 1987, et qui à n'en point douter correspond bien à P. guadalupense. Un article publié dans l'Orchidophile raconte tout celà par le menu. Là.
Troisième observation le 30 novembre 2008 ???
Le lecteur en haleine le découvrira dans notre édition spéciale du 1er décembre.
La saison cyclonique commence à se tasser, le soleil fait quelques apparitions, c'est le moment de déchampignonner vos baskets, on va sortir...
Avant ça, une petite session en salle pour vous élever l'esprit :
Jeudi 13 novembre (c'est dans 3 jours !), un exposé de Laurent Louis-Jean, doctorant. Il travaille sur les captures accidentelles de Tortues marines. Rendez-vous à 18 heures à l'UAG. Voir résumé.
Dimanche 16 novembre, une sortie à la Soufrière, en passant par le Pas du Roy, puis selon l'humeur et les conditions climatiques, le sommet, ou encore le Col de l'Echelle. Que sais-je ?
Dimanche 30 novembre, une sortie dans la série "Perdu de vue". Nous profitons de la visite de Philippe Feldmann, pour tenter de retrouver Pseudocentrum guadalupense, observée 2 fois en 1895 et 1987. Mais de quoi s'agit-il ? J'offrirais bien une tablette de chocolat à qui saura me dire, mais j'ai l'impression que ça ne motive pas les troupes (un camembert ?). Ca se passera entre les Bains Jaunes et la Savane aux Ananas.
Silence radio depuis deux mois, que se passe-t-il ? Le Toto-Bois est-il terré dans son trou, faisant le gros dos en attendant que les cyclones aient fini de passer en Caraïbe ?
Gustav, Hanna, Ike & Josephine. Photo AFP
C'est bien mal me connaître. J'ai préféré la vraie vie. Il fallait quand même que je termine d'élever ma couvée (2 oisillons insupportables, j'ai mis plus d'un mois à leur apprendre à chanter).
Or donc, il s'est quand même passé des choses cet été.
- Le Mercury Day n'a pas eu lieu (voir article précédent). Un non-évènement qui nous a emplis d'aise. Saluons la détermination du Préfet et celle des Maires, qui ont poliment décliné la proposition. Les plaisanciers se sont repliés sur une fête à terre, organisée dans l'enceinte d'une piscine à Gosier. Rien à redire.
Dernière minute (ça m'apprendra à ne pas regarder la télé) : les plaisanciers ont passé outre, et se sont réunis à l'Ilet Gosier. Le Conservatoire du Littoral a indiqué que dans ce secteur, seules les promenades familiales sont autorisées sans l'accord préalable du Conservatoire. Nos mordus de la grève-party se sont donc placés dans l'illégalité.
- AEVA est maintenant agréée, en qualité d'association "exerçant ses activités dans le domaine de la protection de la nature et de l'environnement". Ca flatte l'ego non ? Ca nous permettra le cas échéant de nous porter partice civile dans un cadre juridique.
- Le rapport de la commission d'enquête sur la révision du décret du Parc National a été rendu public, voir ici. Notre souci était que l'interdiction du canyoning en zone de coeur puisse perdurer, et ne pas être soumise à renégociation lors des modifications périodiques de la charte du Parc. Ce point est discuté spécifiquement par le commissaire enquêteur (sports en eaux vives, pages 19 à 22). A suivre de près...
- Nous démarrons notre cycle d'exposés plus tôt qu'à l'accoutumée : venez nous rejoindre dès le vendredi 12 septembre, à 18 heures à l'UAG. Christelle Dyc est actuellement en thèse au laboratoire d'Océanologie de l'Université de Liège en Belgique, et travaille sur la toxicodynamique des polluants et des métaux traces chez Chelonya mydas et Eretmochelys imbricata. Elle réalise une partie du travail dans le cadre du Réseau Tortues Marines de Guadeloupe, et nous présentera donc en avant-première ses résultats.
Et pour finir sur une image, un petit jeu-concours, doté d'une grosse tablette de chocolat :
Quelle est cette Rubiacée endémique des petites Antilles à fleur mauve ?
Par quoi a-t-elle été grignotée ?
Dessin C. Pavis
Ou encore The day after the Mercury day
Qu'est-ce donc que le Mercury day ?
Une manifestation qui, à en croire le dossier de présentation, constitue un évènement de rassemblement et de mixité sociale et raciale (sic), et qui plus est, met en avant le respect de l'environnement (re-sic). Les organisateurs évoquent la date du 30 août à l'Ilet Caret.
S'agirait-il d'une journée de découverte dédiée au lagon, du Grand Cul-de-sac Marin ? Avec en débat, comment protéger les herbiers de phanérogames marines, et leurs habitants (nurseries de poissons) et leurs consommateurs présents (tortues) ou futurs (lamantins lorsqu'ils seront réintroduits) ? Si c'est le cas, l'intention est louable, et tout-à-fait digne des objectifs du réseau d'aires protégés de la Guadeloupe, concerné par ce beau lagon (Réserve Naturelle du Grand Cul-de-Sac marin, qui fera bientôt partie intégrante du parc National, Réserve de Biosphère, site Ramsar). Des instances internationales, c'est formidable.
Bon, vous avez compris, Mercury c'est la marque de moteurs de bateaux. Une entreprise distributrice de ces moteurs organise depuis 3 ans une journée sur l'Ilet Caret, et la manifestation a connu l'an dernier une ampleur et un succès importants. Vous vous rendez-compte, les managers de Mercury avaient même fait le déplacement, et barboté gaiement dans le lagon avec les quelques 450 bateaux et 2 500 convives.
Quelques-uns des esquifs Sympa, on peut même venir avec son 4 x 4
Enfin, cette année le comité d'organisation propose de limiter à 350 bateaux, et 900 personnes (sans compter les 200 personnes du staff).
Mais cessons ce persiflage facile.
Vous me direz que l'Ilet Carte n'est pas dans une aire protégée, il est à l'extérieur de la Réserve naturelle.
Vous me direz qu'il faut bien développer les activités économiques.
Vous me direz qu'il ne faut pas sanctuariser la nature.
Mais tout de même, vous ne pensez pas que l'UNESCO ferait une drôle de tête en voyant ce que nous faisons de cette Réserve de Biosphère (Caret est dedans) ?
Vous ne pensez pas que par les temps qui courent, ce genre de manifestation donne un exemple déplorable ?
Sujet du Brevet des Collèges 2008 (calculettes autorisées) :
1) Mathématiques :
a- sachant que 350 bateaux croiseraient gaiement, quel serait le coût carbone du Mercury day 2008 ?
b- quelle serait la production en matière organique des 1 000 participants bien nourris du Mercury day 2008 ?
2) Education civique :
a- sachant que plusieurs dizaines de milliers d'enfants et jeunes regarderaient ça à la télé, quel serait l'impact citoyen du Mercury day 2008 ?
b- sachant que les élus et l'Etat prônent le développement durable, qu'est-ce qui pourrait bien les pousser à encourager le Mercury day 2008 ?
3) Science de la vie et de la terre :
a- sachant qu'environ 250 ancres racleraient les herbiers, quel serait le temps nécessaire à leur reconstitution ?
b- sachant qu'un jour peut-être le Lamantin sera réintroduit dans le Grand Cul-de-sac, quel serait alors la mortalité induite par le Mercury day 2018 ?
Je ramasse les copies dans 2 heures. Vous avez remarqué que j'ai utilisé le conditionnel, nous avons bon espoir que le Préfet n'autorise pas cette manifestation.
Et si vous n'avez rien de drôle à lire, vous pouvez télécharger le dossier de présentation du Mercury day.
Cascade en Dominique - Aquarelle C. Pavis
Un coup de pub pour la canyoning ?
Non, nous commençons ici la série tant attendue des 'Dossiers qui fâchent', autrement dit ceux qui reviennent par la fenêtre quand on les a fait sortir par la porte.
Quand j'étais un jeune Pic inexpérimenté (et peu au fait de la réglementation), il m'arrivait de partir un sac empli de cordes au dos, de rejoindre une crête, puis un départ de ravine, qui se transformait peu à peu en rivière. Avec de la chance, nous arrivions à quelque cascade à franchir en rappel, ou toboggan à dévaler. Du canyoning sauvage en quelque sorte. Cette activité n'était pas autorisée dans la zone centrale du Parc National. Peu à peu, quelques opérateurs associatifs ou commerciaux y ont malgré tout développé cette pratique, et la tirette d'alarme a commencée à être sonnée.
Que faire ? Telle était la question posée dans les instances du Parc.
Interdire ? Réglementer ? Et d'abord que disait le décret de création du Parc ? Est-il interdit d'interdire ce qui n'est pas autorisé ? Laisser faire puisque-de-toute-façon-on-ne-pourra-pas-l'empêcher ?
Comme souvent dans ces cas d'indécision, des études furent lancées pour estimer les impacts éventuels de la pratique du canyoning sur les espèces et les milieux.
Des débats furent organisés avec les opérateurs de canyoning pour recueillir leur point de vue.
Le Comité scientifique du Parc fut sollicité à maintes reprises sur la question.
Le Conseil d'administration également, sur la base des conclusions du précédent.
AEVA donna son avis sans qu'on le lui ait demandé.
Nous pouvons résumer cet avis de la façon suivante. Les milieux concernés par le canyoning en zone centrale sont d'une richesse exceptionnelle, tant par les espèces présentes que par les milieux concernés (ce n'est pas moi qui le dis, nous sommes quand même reconnus comme le 4ème hot spot de biodiversité mondiale). Il n'existe pas de milieux équivalents en Europe ni même à la Réunion, où les lits des rivières dédiées au canyoning sont beaucoup plus minéraux qu'en Guadeloupe. Les études montrent sans ambiguïté un impact négatif important de la pratique du canyoning sur les espèces et les milieux. Notre propre expertise de ces écosystèmes le confirme. Les impacts concernent les traces d'approche (destruction d'espèces végétales protégées, érosion, surcreusement, puis abandon de ces traces devenues impraticables, et ouverture de nouvelles traces), les abords de rivière (les berges et ripisylves sont des milieux à haute diversité biologique) et le lit des rivières (perturbation de la faune benthique, piétinement des fonds, raclage des toboggans)... Il est tentant de dire que les crues ou cyclones ont des effets bien plus dévastateurs, mais ce n'est pas exact, les écosystèmes étant par nature adaptés à ces aléas climatiques.
On ne peut pas dire que la peine des uns et des autres fût ménagée, ni qu'un consensus fût trouvé. Mais quand les enjeux de conservation sont forts, le consensus est-il souhaitable ?
Résultat des courses, un arrêté du Directeur fut pris en 2004, interdisant cette pratique dans la zone centrale.
Les rivières coulaient donc des jours heureux, quand tout d'un coup, patatras. Vous savez certainement (mais si) que tous les Parcs nationaux français font leur toilette cette année : et hop, nouveau décret pour tout le monde, je ne veux voir qu'une tête. Grosso modo, la philosophie est de dire : ce qui était protégé le reste et celà apparaît dans le décret, et un certain nombre de réglementations sont précisées dans la charte, co-construite avec les collectivités, les usagers etc... Cette charte est révisée périodiquement, alors que le décret est un peu plus gravé dans le marbre.
Ceux qui suivent voient où je veux en venir : où faut-il donc inscrire l'interdiction du canyoning pour qu'elle ait un maximum de pérennité ?
La suite au prochain épisode, et quelques saines lectures pour creuser un peu les questions scientifiques, sociétales et réglementaires :
La question du canyoning dans le Parc national de la Guadeloupe. J. Leconte, J. Jérémie, C. Sastre, P. Feldmann, J. Fournet, D. Imbert, A. Rousteau, J.-F. Bernard, D. Monti, P. Vilard, 2004. Note de synthèse, 5 pp.
Réflexions sur les enjeux d'un territoire protégé ouvert au public : Parc National de la Guadeloupe et pratique du canyoning. Pavis C., 2004. Note préparatoire au groupe de travail de janvier 2004, 2 pp.
Position sur la pratique du canyoning en zone centrale du Parc national de la Guadeloupe. AEVA, 2003, 2 pp.
Motion relative à la protection des Orchidées en Guadeloupe. CNPN, 2003, 1 p.
Dessin C. Pavis
Dernièrement, je me suis bricolé une boîte aux lettres à l'entrée de mon tronc de cocotier, et figurez-vous que j'ai reçu le dernier numéro du Courrier de l'environnement de l'INRA (j'ai l'impression qu'ils ont une politique de diffusion de l'information assez large). Grâce aux actions d'alpha-bébètisation dont j'ai pu bénéficier récemment, j'ai réussi à lire jusqu'au bout un article sur la biodiversité. Et le plus incroyable, c'est que j'ai à peu près tout compris. Ca m'a donné à réfléchir sur des phénomènes qui nous concernent largement nous autres tropicaux insulaires, j'ai donc décidé de vous en faire profiter.
Je vous invite à cliquer ici (600 ko) pour télécharger cet article d'Hervé Le Guyader : La biodiversité, un concept flou ou une réalité scientifique ? Le Courrier de l'environnement de l'INRA numéro 55, février 2008, pages 7-26. Certains points qui y sont évoqués ont été l'objet de discussions au sein de l'association. Nous pourrons développer ces points de vue un peu plus tard, lorsque vous aurez pris connaissance de l'article
Merci à cette revue pour son aimable autorisation, et surtout pour la qualité de ses articles. Si vous ne me croyez pas, vous n'avez qu'à aller voir vous-mêmes là.